Parcours d’un chef éco-responsable. Rencontre avec Stéphane Bureau, chef du restaurant La Botte d’Asperges
Stéphane Bureau est le chef du restaurant La Botte d’Asperges à Contres dans le Loir-et-Cher.
En 2019, le chef originaire du Val de Loire a repris les commandes du restaurant et entrepris une transition éco-responsable.
Un an plus tard, l’établissement était récompensé d’un BIB Gourmand au Guide MICHELIN.
TheFork est parti à la rencontre de ce chef pour qui l’éco-responsabilité est un travail de chaque jour.
Racontez-nous, comment vous est venue votre envie de devenir cuisinier ?
Mon père et mon grand-père étaient charcutiers-traiteurs, mon autre grand-père était cuisinier et j’ai des oncles dans la charcuterie, ma famille est depuis longtemps dans le monde de la gastronomie. C’est un peu génétique je crois ! Tout petit, je voulais déjà faire ce métier et très jeune j’ai commencé à faire de la cuisine chez moi.
Votre restaurant La Botte d’Asperge a ouvert en 2019 et un an plus tard, votre travail était récompensé d’un BIB au Guide MICHELIN.
Quel a été votre parcours pour en arriver là ?
J’ai été formé au Centre de Formation des Apprentis de Blois, j’ai démarré mon apprentissage auprès du chef Bernard Robin puis j’ai continué au restaurant Choiseul à Amboise qui était la deuxième belle maison de la région. Bernard Robin avait une cuisine très classique alors qu’au Choiseul, c’était une cuisine beaucoup plus instinctive qui sortait des sentiers battus. Je pense que cela a marqué ma façon de créer les plats. J’ai ensuite travaillé au Lucas Carton à Paris puis au Grand Véfour auprès du chef Guy Martin. J’ai des capacités organisationnelles donc très vite, j’ai travaillé comme consultant pour des restaurants dans le but de les aider à améliorer leur chiffre d’affaires, optimiser la gestion de leur personnel, du matériel ou de l’espace.
Par la suite, j’ai voulu appliquer ces compétences à ma propre expérience. Je suis donc revenu dans ma région natale, le Centre-Val de Loire où j’ai fait une mission de conseil auprès du Clos d’Amboise pour leur permettre d’augmenter la qualité du restaurant. Un beau jour, en discutant avec un ami qui travaille à La Poste à Contres, j’ai appris que le restaurant La Botte d’Asperges était en vente. J’ai repris l’établissement en mars 2019. Je suis assez précis dans ce que je fais, je ne crée pas de plats du jour par exemple, il faut que mes plats soient gambergés. J’aime quand ils sortent exactement comme je veux, avec une réflexion sur la texture, la présentation, les goûts... tout doit être cohérent.
Généralement, je propose des plats composés de deux produits, trois maximum. Par exemple, je travaille le foie gras et le chou, l’esturgeon et le poireau, la betterave et le chocolat.
On travaille autant sur l’accord des produits ensemble que sur l’accord du plat avec le vin que l’on propose.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Je me balade nuit et jour avec un calepin sur moi. Dès que j’ai des idées, je griffonne, je prends des notes. C’est en observant ce qu’il se passe autour de nous que l’on développe notre créativité. J’évite de trop regarder ce que font les autres cuisiniers, pour être le moins influencé possible. J’observe les saisons, les produits, les textures. Je trouve aussi mon inspiration en allant rencontrer les producteurs des environs avec lesquels je travaille. J’anticipe sur l’arrivée des légumes en fonction de la saison pour réfléchir à mes plats. Et puis, d’une année sur l’autre, on travaille des recettes qui ont bien marché l’année précédente.
Quelles sont les spécialités régionales que vous affectionnez particulièrement ?
J’adore les champignons ! Le Val de Loire est une terre à girolles et à cèpes. J’aime aussi tout ce qui est maraîcher, il y a une palette de couleurs et de goûts impressionnante. Je m’amuse autant à créer un plat végétal qu’une garniture.
C’est très important de mettre les légumes en avant. Mon produit phare, c’est l’esturgeon que j’aime beaucoup travailler. On a des bassins d’élevage à 7km de chez nous d’où vient l’esturgeon que l’on propose à la carte. La ville de Contres est entourée de producteurs de poireaux, j’ai donc décidé de travailler l’esturgeon, le poireau et le caviar de Sologne qui vient de Saint-Viâtre, c’est mon plat signature. J’ai ajouté une sauce hollandaise en espuma avec du miel de Cour-Cheverny. C’est un plat qui plaît beaucoup. Le poisson est mi-cuit en salaison au combava et servi froid. Il se passe quelque chose, il faut le goûter.
En 2019, La Botte d’Asperges s’est vue décerner le certificat de labellisation “Éco-défi des artisans, restaurateurs et commerçants”.
Est-ce concomitant à votre arrivée derrière les fourneaux ?
Oui, tout à fait. Quand je suis arrivé en 2019, j’avais déjà une réflexion quant à la démarche éco-responsable. Par exemple, les anciens propriétaires du restaurant ne triaient pas beaucoup leur déchets. Après notre arrivée, on est passés de quatre gros containers à trois petites poubelles. Actuellement, on essaye de diminuer très fortement notre utilisation de plastique en utilisant des sacs biodégradables compostables. Et pour les déchets organiques, on les confie à nos trois moutons et à nos poules ! Au niveau énergétique, on utilise très peu de gaz et on optimise un maximum les fours. Toutes nos ampoules sont basse consommation et le papier de la carte est recyclé
Je fais aussi des partenariats avec les producteurs des environs pour essayer de valoriser les produits qu’ils n’arrivent pas à valoriser. Par exemple, je me suis rendu compte qu’on pouvait créer des gâteaux avec la drèche générée par la production de bières locales. J’ai donc créé un partenariat avec le producteur de bières : je récupère la drèche, je la fais sécher et puis je la transforme en farine pour créer des gâteaux !
Selon quels critères choisissez-vous les producteurs avec lesquels vous travaillez ?
Dès que j’entends parler d’un producteur intéressant, je vais le voir. Ce qui m’intéresse c’est la philosophie qu’il y a derrière les produits qu’il cultive. Ce dont je ne veux pas, c’est travailler avec un producteur qui me livre et que ça s’arrête là. L’objectif, c’est d’avoir des produits qui représentent bien la région et qui soient d’une qualité irréprochable afin que je puisse les valoriser au mieux en bout de chaîne. J’aime mon métier car je suis au contact des producteurs comme des clients, c’est un tissu social génial.
Comment organisez-vous la gestion de votre personnel afin de leur permettre de concilier vie privée et vie professionnelle ?
Au niveau du personnel, notre équipe est en effectif continu. On a quasiment toujours du monde en cuisine mais on a décidé de fermer deux jours fixes consécutifs (lundi et mardi) alors qu’avant, on était beaucoup plus ouverts. Je pense que je n’ai perdu aucun de mes salariés pendant le confinement car je propose un cadre de vie et une écoute. Pour la création des plats, je propose le point de départ et ensuite, on a un travail collégial. Il y a une écoute du personnel en salle comme en cuisine. On a remplacé le lave-vaisselle et le lave-verre par des modèles avec des osmoseurs dedans pour éviter de se couper en essuyant les verres au torchon. On a aussi des outils pour éviter la pénibilité des tâches comme les chariots à roulettes pour porter des objets lourds. On a également créé un vestiaire, cela peut sembler tout bête mais ça améliore le confort de chacun.
Vous travaillez avec Amandine Lebert, une cueilleuse passionnée par la botanique. Dans quelle mesure l’initiation à la dégustation de plantes et de fleurs sauvages fait-elle partie d’une démarche éco-responsable ?
Lorsque l’on parle de plantes et de fleurs sauvages comestibles, on est au-delà du 100% biologique. C’est quelque chose qui a poussé tout seul, sans aucune aide de l’homme. Je trouve que c’est un milieu très intéressant qui n’est pas assez valorisé. La majorité des terriens ne savent pas que certaines plantes sont comestibles. Dans mon restaurant, on travaille le lierre terrestre et parfois on peut même lui trouver un goût de cèpes, on a l’impression d’avoir coupé un champignon en deux. Grâce aux plantes et fleurs sauvages, on peut jouer avec les papilles des gens, être hyper créatifs avec des choses qu’ils ne connaissent pas.
L’essence même de la cuisine est là, surprendre les gens, leur faire goûter des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de manger. Je trouve plus intéressant de surprendre les gens avec des ingrédients peu onéreux plutôt qu’avec du homard ou de la truffe. Il y a un engagement éco-responsable mais aussi presque économique en mettant la gastronomie à la portée de tous. On a obtenu le BIB gourmand du Guide Michelin car je sais valoriser les produits et parce que l’on a un bon rapport qualité prix. Les producteurs avec qui je travaille me permettent de travailler ainsi. Lorsque j’achète des herbes et des fleurs sauvages à Amandine Lebert, ce que je paye, ce ne sont pas les herbes mais les connaissances qu’elle a. Moi, en tant que cuisinier, cela me permet d’acquérir un savoir que je vais restituer dans mes assiettes. Ce sont des choses très novatrices qu’en réalité nos grands-parents faisaient très bien. C’est simplement un savoir qui s’est perdu et qu’on est amenés à faire perdurer de nouveau....
Circuits courts, recyclage, compostage, utilisation des produits dans leur intégralité, l'éco-responsabilité est au cœur de votre travail.
Quelles sont les prochaines étapes à franchir pour aller au bout de cette démarche ?
C’est une démarche qui fait partie de ma philosophie de vie. Je cherche toujours à diminuer mon utilisation de plastiques et au niveau de l’énergie, on a encore une optimisation à faire. Tous nos produits sont disponibles en vente à emporter. On ne communique pas beaucoup mais tous nos emballages sont biodégradables. On utilise 60% de film plastique en moins en cuisine grâce aux boîtes clipsables. Mon projet ? C’est le bon sens ! L’écologie c’est plein de petits gestes cumulés....
Comment envisagez-vous la cuisine de demain ?
La cuisine de demain, je l’espère pas trop moléculaire et toujours créative avec une sincérité dedans. J’ai un adage suspendu au-dessus de mon passe en cuisine. C’est une citation du philosophe Marc-Aurèle, “ Tant que tu vis, tant que cela t'est permis, améliore toi”. Chaque jour, j’essaye de faire mieux. La cuisine évolue et avec la mondialisation et les réseaux sociaux, tous les chefs sont influencés et il est de plus en plus compliqué d’avoir une identité culinaire. Du coup, ce qui nous détermine le plus aujourd’hui, ce sont les producteurs avec lesquels on travaille.
"Le but, c’est d’avoir les meilleurs produits locaux et de faire voyager les gens à travers notre cuisine.
La chose la plus intéressante de ma vie c’est de transformer la venue de mes clients en un moment magique."