Journée mondiale des abeilles : le miel, nectar en voie d’extinction. PARTIE 1 : Rencontre avec un apiculteur engagé
A l’occasion de la journée mondiale des abeilles, TheFork met un coup de projecteur sur le miel. Utilisé depuis la nuit des temps pour ses nombreuses vertus thérapeutiques, il est aussi un ingrédient incontournable de nos cuisines. On a cherché à en savoir plus sur ce précieux nectar et à comprendre les enjeux auxquels les abeilles sont confrontées. Menacées, leur protection a été déclarée “grande cause nationale” par le gouvernement en 2022.
On fait le point avec Nils Aucante, apiculteur en Sologne et Alain Lemoine, chef écoresponsable à Noirmoutier-en-l’Île, tous deux instigateurs de solutions sur leur territoire.
Nils Aucante, apiculteur et fondateur des Ruchers de Saint-Marc à Yvoy-le-Marron en Sologne.
En Sologne, au Sud d’Orléans, Nils Aucante produit un miel biologique 100% Sologne. S’il produit du miel en moindre quantité comparé aux miels dits conventionnels de Colza ou de Tournesol, les nectars et pollens des Ruchers de Saint-Marc ont la particularité d’être exceptionnels. Au-delà de sa production de miel Nils a l’objectif de faire en sorte que les abeilles nous survivent. Un projet de vie pour lequel il œuvre chaque jour dans la ferme familale dont il a hérité.
🐝 Qu’est-ce que le miel, quand et comment les abeilles le fabriquent-il ?
Au départ, le miel c’est le nectar produit par les fleurs, autrement dit, de l’eau de fleurs. Il est ensuite récupéré par les butineuses qui le ramènent à la ruche et, en se le passant de l’une à l’autre, elles le régurgitent, y ajoutent des enzymes et le ventilent. Ce nectar aux enzymes va s’assécher progressivement jusqu’à devenir du miel. C’est un processus que seules les abeilles maîtrisent, l’Homme n’a pas encore réussi à le copier (et heureusement d’ailleurs !). En Sologne, la saison de la récolte s’ouvre en avril et dure jusqu’en juin - juillet. L'abeille butine parfois jusqu’en novembre mais c’est pour ses provisions propres, on ne récoltera jamais ce miel, cela nuirait trop à la santé de la colonie.
🍯Vous produisez du miel BIO. Comment le distinguer d’un miel conventionnel, quel cahier des charges devez vous respecter pour être certifié bio ?
La première chose correspond aux emplacements des ruchers. Lorsqu’on veut fabriquer du miel biologique, il faut disposer les ruches à plus de 3 kilomètres de cultures conventionnelles. Sinon, les abeilles pourraient aller butiner ces fleurs et ingérer des intrants chimiques. La deuxième chose c’est la charge de travail. Elle est démultipliée notamment à cause d’un acarien, le Varroa destructor, qu’on doit absolument maîtriser pour protéger nos ruches; sans utiliser de produits chimiques. On doit le remplacer par une intervention presque mécanique. On est aussi obligés d’avoir des ruches en bois, d’utiliser de la cire biologique… Il y a beaucoup de règles à respecter. L’année dernière en France, le miel de colza et le miel de tournesol représentaient 82% de la production française. Les 18% restants correspondent donc aux miels biologiques, c’est une infime part de la production française.
😋Quelles sont les spécificités des miels de Sologne ?
En Sologne, on a la particularité d’avoir beaucoup d’étangs ce qui permet d’obtenir des miellées précoces très bonnes pour les abeilles comme le saule, l’épine noire et les premières fleurs de printemps. Le miel de Sologne était réputé pour être noir car les abeilles fabriquent beaucoup de miellat. C’est une substance fabriquée par les abeilles à partir des excréments de pucerons (qui, au préalable, se sont nourris de la sève des arbres), et qui se situent sur les feuilles et les branches des arbres en forêt. Ça donne au miel une saveur toute particulière, celle de la sève de l’arbre. On ne l’appelle pas “miel” car ça ne vient pas du nectar des fleurs mais “miellat”. La Sologne est aussi connue pour ses bruyères d’été, l’Erica au début de la saison estivale puis la Callune qui sont très mellifères (c'est-à-dire que ce sont des plantes dont le nectar est particulièrement apprécié des abeilles). Le miel de Sologne est très typique parce qu’on a un biotope d’exception, qui lui, est atypique.
👩⚕️Quels sont les bienfaits du miel ? Diffèrent-ils selon le type de miel consommé (Acacia, ronce, lavande…) ?
Tous les miels ont leurs vertus. En Sologne, le miel de châtaignier est un excellent cicatrisant, il est bon pour la digestion et la flore intestinale. C’est aussi un antidépresseur naturel ! C’est ce qu’on appelle un “super-aliment”, d’ailleurs, beaucoup de sportifs s’approvisionnent chez nous.
🧐Quels autres produits issus des abeilles produisez-vous ?
On fabrique principalement du pollen et du propolis, et on fait de l’élevage de reines à destination des apiculteurs. On travaille avec des chefs cuisiniers qui utilisent nos pollens dans leurs plats : ça apporte fraîcheur et couleur (en plus de leurs bienfaits). Le pollen peut s’utiliser en salade ou dans les desserts par exemple. Quant à la propolis, elle est utilisée pour les maux de gorge, de bouche et les problèmes de constipation entre autres.
✊Vous êtes mobilisé pour le sauvetage de l’abeille noire, une race locale menacée. Racontez-nous…
On est mobilisés pour la défense des races locales endémiques à la Sologne (la brebis solognote et l’abeille noire). L’abeille noire était endémique à l’Europe de l’Ouest et a disparu au fur et à mesure de la domestication des abeilles par l’homme et de la mondialisation de l’apiculture. On a importé des abeilles venues d’ailleurs ce qui a causé la disparition progressive de l’abeille noire. En apiculture, le contrôle de la génétique est complexe car la fécondation se fait en vol. Il y a donc eu une hybridation et on a perdu la génétique de l’abeille naturelle et endémique de Sologne. Elle a pourtant de grandes qualités ! Elle connaît son territoire, elle est rustique, elle connaît ses fleurs, elle est tardive en saison, elle est économe en hiver et puis elle est autonome et peut donc tout à fait se passer de l’homme. Mon combat pour la préservation de l’abeille noire de Sologne, c’est aussi de faire en sorte que les abeilles soient là après le passage de l’homme sur terre. En seulement quelques siècles, la domestication de l’abeille a failli nous mener à sa disparition. Mon objectif est d’arriver à conserver une abeille qui nous survive, qui soit indépendante de l’homme.
⚠️Quelles sont les menaces auxquelles sont confrontées les abeilles ?
L’abeille devrait pouvoir trouver de quoi se nourrir dans un rayon de 3km autour d’elle toute l’année. Or, la plus grande menace à laquelle elle est confrontée, c’est le manque de ressources qui, lui-même, est lié au manque de diversité du fait de la présence humaine. L’Homme a développé et intensifié les monocultures et les gestions forestières mises en place sont aujourd’hui dépassées. Par dessus cela, il y a bien évidemment les changements climatiques et les sécheresses à répétition qui vont faire disparaître certains arbres (les châtaigniers notamment en Sologne). Pour préserver les abeilles sur le long-terme, il va donc falloir multiplier les ressources, replanter des haies, des arbres mellifères, repasser dans des systèmes agro-forestiers avec du pâturage… pour que la diversité s'instaure un peu partout.
💚🍃 Quelles solutions les consommateurs et les restaurateurs peuvent-ils mettre en place pour préserver les abeilles et consommer un miel respectueux de l’environnement et produit de façon durable ?
Le miel biologique est un gage de qualité supplémentaire c’est certain même si nous avons aussi des lacunes. Au-delà du miel, il y a des labels qui font un travail extraordinaire. Je pense au label Bee-Friendly qui se préoccupe de la santé des pollinisateurs depuis plusieurs années. Les produits sont peu nombreux car le cahier des charges est drastique mais ça engage le consommateur pour la sauvegarde des pollinisateurs. Le problème aujourd’hui avec le biologique c’est qu’on a l’impression que les prises de décision au niveau de l’europe sont très décalées des réalités. Bee-Friendly va dans les fermes et constitue un cahier des charges adapté à chaque situation et ça fait vraiment la différence…