Des TheFork Awards 2019 à Top Chef 2022 : Thibaut Spiwack, un parcours exemplaire guidé par une cuisine éthique
Soucieux du mieux manger et du mieux consommer, Thibaut Spiwack propose une cuisine éthique et durable dans son restaurant gastronomique à Paris, partenaire TheFork : Anona.
Lauréat des TheFork Awards en 2019, le chef détenteur d’une étoile verte au Guide MICHELIN et du label éco responsable FiG, n’a depuis cessé de se renouveler et de pousser sa démarche écoresponsable toujours plus loin. Aujourd’hui candidat au concours de l’émission culinaire Top Chef, il n’a pas fini de faire parler de lui !
Rencontre avec un chef créatif, engagé pour l’alimentation de demain et plus que jamais déterminé à faire bouger les lignes de la gastronomie.
- Vous avez grandi en région parisienne et arrêté votre cursus général pour un BEP cuisine. Comment est née votre vocation pour la cuisine ?
Un peu par hasard. J’étais au lycée en cursus général et j’avais plein de projets mais je voulais trouver un métier qui donne du sens à ma vie et qui rende les gens heureux. Je me suis rendu compte que la cuisine était l’un des rares métiers qui permette un retour direct et instantané des clients.
Un client mécontent peut vous faire un retour qui vous permettra de vous remettre en question et à l’inverse, un client heureux va vous le faire ressentir. On a un retour direct sur notre propre travail, même si finalement, notre métier c’est seulement de faire à manger. C’est un métier simple qui peut apporter beaucoup d’émotions aux gens.
- Alain Senderens, Jérôme Banctel, Alain Ducasse, Pascal Proyart : vous avez fait vos classes auprès des plus grands chefs. Racontez-nous votre parcours…
J’ai commencé la restauration dans la brasserie de ma ville dans l’Essonne, sans aucune ambition gastronomique. Comme j’avais eu la chance de sortir d’un cursus général, j’avais déjà acquis certaines connaissances et je me suis donc concentré sur mon travail de cuisinier. L’école m’a envoyé au George V à Paris qui a été pour moi un énorme coup de cœur. J’ai découvert la haute gastronomie française, qui était en fait un mélange de passion, de culture culinaire et de rigueur dont je suis tombé amoureux. J’étais très loin de ce monde à l’origine. D’expérience en expérience, j’ai été là où le vent me menait : avec Jérôme Banctel et Alain Senderens, avec Alain Ducasse… Finalement, j’étais dans une barque qui se laissait entraîner par le courant et ces expériences m’ont permis d’acquérir une suite de compétences et de plaisirs.
- Une trajectoire entremêlée d’expériences à l’étranger. Qu’est-ce que ces voyages vous ont apporté ?
J’ai travaillé un an en Angleterre, un an en Australie, j’ai fait des stages en Norvège et en Thaïlande et j’ai aussi pas mal voyagé en sac à dos. J’ai eu la chance de voyager dans plus de 45 pays dans le monde !
Au-delà de la culture culinaire, je me suis rendu compte que les mœurs étaient très différentes d’un pays à l’autre et cela m’a permis de casser pas mal de codes que j’avais appris dans les maisons parisiennes et qui étaient parfois un peu toujours les mêmes. J’ai réalisé que c’était seulement une façon de travailler et de penser parmi plein d’autres. Ces expériences m’ont ouvert l’esprit sur d’autres cuisines, sur la transmission et sur l’écologie.
- Aujourd’hui, vous êtes chef et propriétaire de votre restaurant écoresponsable et gastronomique à Paris, Anona. Que signifie ce nom ?
Pour moi c’est très important que mon premier restaurant ait la plus faible empreinte écologique possible. Encore une fois, notre métier ce n’est que de faire à manger, alors d’avoir une micro participation à la préservation de l’environnement, c’est déjà bien. Je cherchais un nom qui évoque la nature : une plante, un fruit ou un légume par exemple. L’anone est un fruit exotique qui est aussi utilisé en pharmaceutique pour lutter contre le cancer et le diabète, donc c’est aussi lié à une cuisine saine. Et pour le clin d'œil historique, l’Annone c’était l'impôt sur le grain à l’époque romaine.
Ma carte est écrite par mes producteurs d’Île-de-France, je me laisse guider au fil des saisons. (...)
J’appelle les producteurs et je leur demande ce qui va sortir de terre pour préparer mes cartes suivantes.
- Quelle cuisine y proposez-vous ?
Je propose une cuisine de terroir. Ma carte est écrite par mes producteurs d’Île-de-France, je me laisse guider au fil des saisons. Je ne me dis pas que j’ai envie de travailler tel ou tel produit. J’appelle les producteurs et je leur demande ce qui va sortir de terre pour préparer mes cartes suivantes. Tous mes plats commencent par un légume, que la viande et le poisson viennent condimenter, ils sont plutôt la garniture. J’essaye d’inverser les rôles. On a du poisson, de la viande, du vegan, le but, c’est d’en avoir pour tous les goûts.
- Avez-vous des plats signature ?
Pour moi, un plat signature c’est un peu comme ressortir avec son ex ! C’est revenir à un truc du passé, sans évolution. J’ai plutôt tendance à aller de l’avant, à me challenger et à challenger mes équipes. J’ai une façon de travailler très démocratique, on travaille tous ensemble sur les cartes, j’ai envie que tout le monde se sente un peu chez soi. Chaque année, on essaye de faire mieux que l’année précédente et d’évoluer en se tirant tous vers le haut. Le but, c’est de se faire plaisir à soi, en faisant plaisir aux clients.
- Vous faîtes votre propre pain mais aussi vos sirops, vos tonics et même vos ginger beers ?
Oui ! Ici, on fait tout ce qu’on a le droit de faire et qu’on sait faire. On fait aussi nos limoncellos et nos liqueurs de verveine. Par ailleurs, on apprend à faire tout ce qu’on ne sait pas faire, principalement pour des raisons éthiques. Car en faisant soi-même, on utilise nos propres contenants et c’est aussi très excitant d’apprendre à faire des choses. On travaille avec des produits locaux, on sait donc ce qu’on met dans nos assiettes et dans nos verres et on a un contrôle absolu de notre production. C’est une façon de travailler idéale, surtout à Paris. Les gens viennent aussi travailler avec moi pour ces raisons-là.
On fait partie des 50 premiers restaurants au monde à avoir eu cette étoile verte, c’est une fierté
- Vous êtes détenteur d’une étoile verte MICHELIN depuis janvier 2021. Comment se traduit votre démarche éco responsable chez Anona, dans l’assiette et au-delà ?
On fait partie des 50 premiers restaurants au monde à avoir eu cette étoile verte, c’est une fierté. L’idée chez Anona, c’était qu’on puisse retrouver nos engagements écologiques partout. Un restaurant aura toujours une empreinte carbone et sera toujours plus polluant que d’avoir sa carotte dans le jardin, qu’on cueille et qu’on mange. En construisant ce restaurant, l’idée de départ, c’était d’avoir des bases propres. On marche donc en électricité verte, uniquement avec des machines à basse consommation. Tous les matériaux (bois, tissu, métal, inox) sont français et ont été travaillés par des artisans locaux. La vaisselle est fabriquée à partir de produits naturels et on évite au maximum les fioritures dans le restaurant (pas de fleurs, pas de nappes par exemple). On a aussi retiré le maximum de contenants (eau micro-filtrée, bières pressions, jus maison). Notre pain est fabriqué avec des farines biologiques d’Île-de-France. Tout est fait maison. Par exemple, si on a besoin de faire de la charcuterie, on le fait nous-mêmes. Tous les déchets sont triés, rien ne va à la poubelle. Un camion électrique vient chercher le compost deux fois par semaine. On récupère aussi toutes les épluchures de nos légumes qu’on conserve au frais pour faire nos jus et nos bouillons. Les produits d’entretien sont biodégradables, les papiers d’imprimante sont recyclés. On cherche tous les points polluants en essayant de les améliorer et de diminuer notre empreinte au maximum.
- Vous travaillez en circuit court, de préférence avec des producteurs d’Ile-de-France. Comment sélectionnez-vous les producteurs avec lesquels vous travaillez ?
Je travaille tout ce que je peux trouver de façon très locale, en Île-de-France. La moitié des appellations du guide Escoffier sont parisiennes ! C’est aussi mon terroir donc c’est une fierté de pouvoir le mettre en avant. Ce qu’on ne trouve pas à proximité, je vais le chercher là où il est le meilleur et le mieux travaillé : les agrumes dans le sud de la France, le cacao ou le café à l’étranger, sans problème d’égo car je donne mon argent à des producteurs engagés à travers le monde. Le but pour moi, ce n’est pas de supprimer des ingrédients exotiques, car si l’Europe arrêtait de consommer certains ingrédients tels que le café ou le cacao, cela mettrait en difficulté certains pays comme le Brésil et ce serait bien plus impactant que les petites économies qu’on aurait faites. L’idée, c’est de donner mon argent à des petits producteurs qui travaillent proprement, sans chimie, dans le respect du produit.
Le non gaspillage permet d’économiser de l’argent qui sera, dans un second temps, réinjecté dans des produits de meilleure qualité, plus locaux.
- Quels conseils simples pourriez-vous donner à des chefs qui aimeraient être plus écoresponsables ?
Souvent, ce qui fait peur aux chefs à propos de l’écologie, c’est le coût. Or, si on ne gaspille pas, on économise de l’argent. Il y a beaucoup de restaurants qui jettent 15 à 20% des produits comme les parures de légumes par exemple. Donc dans un premier temps, il faut apprendre à gérer ses stocks et à créer un plat autour des parures. Le non gaspillage permet d’économiser de l’argent qui sera, dans un second temps, réinjecté dans des produits de meilleure qualité, plus locaux. Le tri des biodéchets a un coût équivalent à l’économie réalisée en évitant le gaspillage. La première étape c’est donc de réfléchir à créer des plats pour ne rien mettre dans une poubelle.
La plateforme (TheFork) semble indispensable, qui plus est depuis que vous avez eu la bonne idée de vous associer avec le Guide MICHELIN. Et donc, qui réserve par le Guide MICHELIN, réserve par TheFork, bravo !
- TheFork vous accompagne depuis juillet 2019 qu’est-ce que cela vous apporte au quotidien ?
TheFork a commencé à m’accompagner seulement deux mois après l’ouverture d’Anona. Beaucoup de clients utilisent TheFork comme plateforme de réservation, c'est donc un super apporteur d’affaires, utile au quotidien. La plateforme semble indispensable, qui plus est depuis que vous avez eu la bonne idée de vous associer avec le Guide MICHELIN. Et donc, qui réserve par le Guide MICHELIN, réserve par TheFork, bravo ! Toute mise en avant est nécessaire. Je ne connais aucune marque, quelle qu’elle soit, qui n’ai pas besoin de faire parler d’elle.
- D’ailleurs, en 2019, vous avez gagné les TheFork Awards, qu’est-ce que cette distinction a changé pour vous ?
C'était la première édition et la première distinction que je recevais donc ça a été un vrai honneur d’être le premier sur le devant de la scène. Récompenser un restaurant à son ouverture c’est motivant, il y a un côté satisfaisant de se dire “je dors deux heures par nuit pendant un an et quelques personnes s’en rendent compte”. Ça réconforte dans ses choix et sa stratégie de travail et puis ça a permis de faire parler de nous pendant quelque temps, c’était un beau moment.
Finalement ce que j’espère le plus, c’est qu’on arrête de me poser des questions sur les engagements éthiques d’Anona et que ce soit normal car tout le monde le fait.
- Côté transmission, comment sensibilisez-vous votre équipe ? Est-ce qu’être écoresponsable est à la portée de tous ?
Aujourd’hui, les gens postulent chez Anona ou bien parce qu’ils ne connaissent pas les questions d’éco-responsabilité et que ça les intéresse, ou bien parce qu’ils sont très engagés sur ce sujet et qu’ils veulent l’approfondir.
Pour moi, construire un restaurant éthique et écologique passe d’abord par la transmission aux équipes. S’ils ne sont pas conscients de ces choses là, alors ils vont gaspiller, ils vont jeter, ils vont mal trier. Je pense que la transmission est très importante. Avant de passer le message à une clientèle, il faut le passer à son propre personnel et pour cela, il faut y croire.
Chez Anona, on avance ensemble sur ce sujet, on en parle beaucoup.
Pour ce qui est de la transmission au client, on n’est pas là pour donner des leçons aux gens ou pour les forcer à croire en ces sujets. Plus on force les gens à faire quelque chose, moins ils ont envie de le faire, c’est bien connu. Chez Anona, on transmet en rappelant nos engagements sur notre carte. Les clients intéressés par ces sujets nous posent des questions et ceux qui ne s’y intéressent pas, et bien tant pis. L’idée, c’est de proposer une rééducation passive et inconsciente. Plus nous serons nombreux à le faire, plus ça semblera normal et naturel. Finalement ce que j’espère le plus, c’est qu’on arrête de me poser des questions sur les engagements éthiques d’Anona et que ce soit normal car tout le monde le fait.
- Avez-vous des projets ?
On développe une offre street-food pour toucher des gens qui n’ont pas forcément les moyens de venir chez Anona. Faire de la street-food permet de faire passer les mêmes messages à travers une cuisine plus accessible.